Harjunpää et les lois de l’amour by Matti Yrjänä Joensuu

Auteur:Matti Yrjänä Joensuu [Joensuu, Matti Yrjänä]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Policier, Littérature finlandaise
Éditeur: Gallimard - Série Noire
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

10

La revanche

Torsten était accroupi par terre, une main posée sur les paquets de pains. Mais ceux-ci ne l’aidaient pas. Ils ne l’apaisaient pas. Ils n’étaient et ne demeuraient que des pains muets. Ceux du bas commençaient déjà à moisir. Jamais encore une chose pareille ne s’était produite par le passé. Il se redressa avec des mouvements qui traduisaient sa stupeur et se sentit encore davantage trahi et faible, et sa faiblesse était une faiblesse insupportable, identique à celle qui l’envahissait quand il lui était absolument indispensable de faire l’amour à quelqu’un, quand il en avait envie, même, mais que son corps restait inerte et refusait d’obéir. En ces moments-là, il avait l’impression de se trouver recouvert d’une membrane étouffante, comme s’il fallait déchirer ou frapper quelque chose pour se libérer. Et maintenant, sa faiblesse se doublait en plus d’un effroi naissant. Il fit un pas rapide qui ne le mena nulle part mais le laissa en plein milieu de tout, et l’effort de la course se faisait encore sentir dans ses membres alors qu’il se trouvait déjà depuis une heure dans son antre, et son cœur battait toujours la chamade, avec une telle force qu’il sentait les pulsations sur son cou comme si un oiseau lui picorait la peau.

— Je ne suis quand même pas une tapette…

Les mots ne produisirent aucun effet. Il commençait presque à éprouver la même sensation que devant la porte coupe-feu, quand il avait essayé d’ouvrir la serrure avec la mauvaise clé et que le fracas des pas dans l’escalier ne cessait de se rapprocher.

Torsten poussa un râle, se retourna et aperçut son costume. Il formait un tas gris sur le lit. En règle générale, Torsten ne traitait pas ses vêtements avec négligence. Il avait toujours été conscient de leur importance. Pour lui, ils étaient des alliés. Il les bichonnait presque. Mais à présent, il lui sembla que le costume gris ne méritait pas mieux que de se retrouver ainsi, tel un vulgaire tas de chiffons. C’était le costume par lequel le malheur était arrivé. L’air s’échappa en sifflant entre ses dents et il se précipita dans le coin cuisine, revint avec un grand sac-poubelle, vida les poches du costume avec frénésie comme s’il craignait que lui-même ou leur contenu puissent être contaminés, et quand les poches pendouillèrent comme des bouts de tissu sans valeur, il enfourna le costume, veste, pantalon et gilet compris, dans le sac, qu’il jeta dans l’entrée. Après quoi, il resta debout, ses mains pianotant avec nervosité l’une contre l’autre, et il sonda son esprit.

Mais rien n’avait changé. La menace était toujours présente. Comme un glissement de terrain sur le point de se produire, que presque plus rien ne retenait, sauf peut-être un élément insignifiant, un petit caillou, par exemple, et il avait la certitude que s’il restait sur place sans rien faire, il finirait inévitablement par ramasser ce caillou, et ses pensées déferleraient alors et l’enseveliraient. Il gagna la fenêtre un peu comme s’il fuyait et se mit à gratter la

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